Nous avons toujours des virtuoses du dessin. Nous avons des toujours des auteurs infiniment libres.
Nous n’avons plus Mœbius.
J’ai fini par réaliser pourquoi sa perte m’a tant affecté, moi qui le connaissais à peine. Comme beaucoup, en tant qu’artiste, je voulais la vie de Mœbius. Il n’était pas mon dieu, pas mon père spirituel, encore moins mon démon. Il était ce que j’aspirais à devenir, mon Achille, mon héros.
Pas le seul, c’est vrai. Mais celui auquel je me référais le plus souvent. Celui dont le nom revenait à la fin des débats avec mes amis dessinateurs, quand telle ou telle difficulté du métier semblait infranchissable – « Giraud, lui, y arrive » - et tout le monde reprenait espoir.
Pourrons-nous conjuguer maîtrise du dessin et liberté graphique et narrative ?
« Giraud, lui, y arrive.»
Peut-on pratiquer plusieurs styles avec autant de bonheur ?
« Giraud, lui, y arrive.»
Pouvons-nous, sans vendre son âme, participer au grand cinéma de notre temps ?
« Giraud, lui, y arrive.»
Pourrons-nous sans cesse nous renouveler, et renouveler notre intérêt pour ce métier après des décennies passées à la table à dessin ?
« Giraud, lui, y arrive.»
Giraud y est arrivé. Il est notre espoir, notre lumière.
Notre auteur-héros.
Et ce que des décennies de dramaturgie formatée par des crétins au cinéma et à la télévision oublient de nous dire, c’est que, comme dans les tragédies et les poèmes épiques, les héros meurent à la fin.
Ces jours sont tristes, mais ils vont passer.
Au travail, maintenant.
Alex Alice